Est-ce que nous vivons vraiment un moment historique ? Aujourd’hui, mardi 15 décembre 2020, la Commission européenne a présenté deux textes très attendus :
– le « Digital Services Act » et,
– le « Digital Markets Act« .
Depuis un certain temps, avec une forte implication de la France dans cette voie, le sujet de la domination des plateformes américaines alimentait les débats. Pour etre juste, il faut rappeler que cela n’est pas qu’une préoccupation européenne, puisqu’outre atlantique, les « Giant giants » suscitent de nombreux débats dans la société américaine et Facebook en particulier, fait l’objet depuis le 12 septembre dernier, d’une action judiciaire sans précédent, engagée par un groupe de 46 Etats de l’Union associés au District de Columbia et Guam, sous l’impulsion de Letitia James, NY State Attorney Général.
Dans un cas comme dans l’autre, le principal argument relève de la défense du sacro-saint principe de concurrence. Toutefois, les motivations ne sont pas exactement identiques. Le magazine Wired souligne avec pertinence la différence de point de vue : alors que les autorités américaines entendent s’attaquer à ce qu’elles jugent etre la racine du mal – le controle des données – la Commission Européenne se concentre plus spécifiquement sur la taille de ces entreprises et les abus de position dominante dont elles se rendent coupables. S’agissant des données personnelles l’UE a déjà pris de l’avance sur les Etats-Unis par l’édiction des règles relatives au RGPD, si bien que les derniers Acts viennent poursuivre en meme temps qu’ils la complètent, une politique législative particulièrement cohérente. Les velléités américaines de démembrement des leaders de la Silicon Valley, qui ne sont pas une première dans l’histoire américaine, et l’action menée par les plaignants reprennent les vieilles recettes (celles dont Standard Oil et AT&T ont fait les frais en leur temps) sans tenir réellement compte des débats suscités par leurs méthodes.
Le succès du documentaire produit par Netflix, intitulé en français « Derrière nos écran de fumée », dont le titre original est beaucoup plus évocateur (« The Great Dilema »), la publication d’ouvrages exceptionnels tel que celui de Soshanna Zuboff qui théorise l’apparition de ce qu’elle qualifie d’age du « capitalisme de surveillance », et le non moins majeur de Yascha Mounk « The People versus Democracy, Why our Freedom is in danger & how to save it », les initiatives telles que celle engagée par le Center for Human Technology ne sont pourtant pas des produits de la société européenne, dont les citoyens semblent moins radicalement engagés dans ce grand débat sociétal.
C’est là qu’il faut saluer la démarche européenne, dont les bénéficiaires ne voient en elle qu’une machine aveugle à produire des réglementations plétoriques et technocratiques. Ces deux textes s’inscrivent dans une Histoire de l’humanité qui loin de vouloir brider ou contrarier le progrès technologique, entend y réintroduire une dimension éthique, osons le mot, et dont nous attendons beaucoup.
Beaucoup de leurs détracteurs n’y verrons qu’une tentative, qu’ils s’empresseront de juger désespérée, d’élaborer un corpus de règles protectionnistes déguisées en manifeste pour la pluralité et l’égalité des chances. Nous pensons tout le contraire.
Reste à ce que les acteurs européens, au premier rang desquels se trouvent les entrepreneurs et les startup, attirés depuis des décennies par l’Eldorado californien, s’emparent de cette initiative et concourrent à la construction d’une véritable indépendance européenne. Ce ne sont ni les talents, ni les idées, ni les compétences qui nous manquent. A certains, l’espoir de pouvoir développer leurs activités depuis l’Europe, avec des perspectives mondiales qui ne soient pas barrées par ce que la Commission qualifie à raison de « Gatekeepers » devrait suffire à décupler les ambitions. Pourvu que les acteurs essentiels à la croissance des initiatives européennes, à commencer par les acteurs financiers suivent, et inventent à leur tour des politiques et des stratégies d’accompagnement qui soient elles-aussi originales.