Et si l’on revoyait quelques principes de recrutement ?

L’embauche de managers est une étape cruciale de la stratégie de croissance. Cette évidence rappelée, qui vous donnera peut-être envie de ranger ce post au placard des propos inutiles, mérite pourtant un peu d’attention.

Au-delà des enjeux de compétence, de rémunération et d’intéressement, les premiers managers qui n’appartiennent pas au cercle des fondateurs s’y assimilent souvent, en raison de l’engagement, mieux de l’adhésion entière au projet qui est attendue d’eux.

Et s’ils sont indispensables, c’est généralement parce que leur capacité à se fondre dans le projet, l’embrasser sans s’y soumettre aveuglément, apporter, parfois, une contradiction positive sans heurter l’ego ou la susceptibilité de ceux qui ont tout consacré à leur entreprise, relève de considérations souvent intuitives mais aussi cruciales dans le choix des candidats.

Une équipe de chercheurs l’Université de Porthmouth, menée par Cody Porter une enseignante en psychologie de l’Institut d’Etudes en Criminalité, a développé une méthodologie, baptisée « Lie-detection by strategy manipulation » qui mérite une mention particulière. S’appuyant sur une technique de management asymétrique de l’information (AIM – Asymetric Information Magement), ces chercheurs ont élaboré une technique qui présente le double mérite d’être efficace et parfaitement éthique.

En résumé, les résultats concluent, à l’instar d’un professeur de Yale, que la plupart des entretiens d’embauche stratégique, tels qu’ils sont menés, peuvent être qualifiés « d’inutiles ». Comme la critique est aisée, mais la qualité des auteurs remarquable, il est bon de creuser davantage.

Développée pour les forces de l’ordre, la méthode de Porter propose une technique d’entretien particulière pour repérer les menteurs. Et c’est là que se présente l’intérêt pour la conduite des entretien d’embauche. Non pas qu’il faille traiter les candidats comme des délinquant, mais parce que l’enjeu crucial est dans le processus de recrutement de se protéger du risque de mensonge, sous toutes ses formes (qu’il soit délibéré, par exagération, par omission, etc…) et dont l’expérience montre assez qu’ils ne sont pas exempt des conversations engagées avec de nombreux candidats.

Et plutôt que de s’enfermer dans une posture de statue du Commandeur, et d’entretenir un fond de paranoia aussi négative que subjective, pourquoi ne pas adopter une méthode positive, efficace, et qui plus est, respectueuse de nos interlocuteurs (donc éthique) ? Et c’est ce que Cody Porter et son équipe nous proposent.

Quand tout détail compte…

L’originalité de la démarche part d’une observation simple : les menteurs n’aiment pas rentrer dans les détails, parce qu’ils savent qu’ils risquent de se faire prendre s’ils le font. Mais les vrais menteurs, en revanche, sont toujours heureux d’entrer dans le vif du d’un sujet, poursuivant l’idée qu’ils peuvent exercer un contrôle sur les perceptions cognitives de leurs interlocuteurs. La gestion des informations asymétriques est la technique qui vous permet d’exploiter cette vérité à votre avantage.

Le détail de la méthode a été publiée en juin dernier, dans le [Journal of Applied Research in Memory and Cognition], et l’approche repose sur le postulat que les processus mentaux et stratégiques adoptés par ceux qui disent la vérité lors des entretiens diffèrent sensiblement de ceux des menteurs. En utilisant des techniques spécifiques, ces différences peuvent être amplifiées et détectées.

En gros, la méthode AIM implique avant toute chose d’informer formellement l’interrogé que les détails qui vont leur être demandés seront le moyen déterminant pour distinguer s’il mentent ou disent la vérité.

Plus précisément, l’interrogeant font comprendre aux interrogés que si elles fournissent des déclarations plus longues et plus détaillées sur l’événement en question, l’interrogeant (en l’occurence l’enquêteur) sera mieux à même de détecter s’ils disent la vérité. « *Pour les personnes qui disent la vérité, c’est une bonne nouvelle. Pour les menteurs, c’est une moins bonne nouvelle*. »

Cela rappelle, pour ceux qui appartiennent à une certaines génération, la bonne vieille méthode de l’inspecteur Colombo, à cette différence près que le spectateur était déjà « affranchi » sur la vérité dès l’ouverture de l’enquête et que le climax consistait à essayer de deviner de quelle manière Colombo (largement aidé de son épouse invisible) allait s’y prendre pour coincer le coupable.

Ainsi, celui qui dit la vérité n’a d’autre intention que d’exposer son innocence, et fournit alors des informations plus détaillées en réponse à ces instructions. Le menteur, en revanche, n’a d’autre objectif que de camoufler sa culpabilité. Il sera donc enclin à retenir stratégiquement le plus d’information possible en réponse aux mêmes instructions. Ils partent alors « de l’hypothèse (tout à fait correcte) que le fait de fournir plus d’information permettra à l’enquêteur de détecter plus facilement leur mensonge, et ils fournissent donc moins d’informations ».

Et Elon dans tout ça ?

Il le savait déjà !

Et il l’a révélé à l’occasion du World Government Summit de 2017 (vers la 31ème minute pour les curieux), en précisant qu’il adopte toujours la même approche dans ses interviews, en demandant à chaque candidat : « parlez-moi de certains problèmes les plus difficiles sur lesquels vous avez travaillé et de la façon dont vous les avez résolus », précisant que « les personnes qui ont vraiment résolu le problème savent exactement comment elles l’ont résolu, elles connaissent les petits détails. »

Cette méthode dont il dit qu’elle est avant tout « intuitive », n’est pas différente de ce que les études menées par Cody Porter ont permis de conceptualiser.

Au surplus, ce que rappelle Porter, la méthode reste profondément éthique, non-accusatoire et entièrement fondée sur une approche d’accumulation d’informations pour mieux les recouper.

L’interwievé étant dès le début informé de la démarche, elle n’est pas manipulatrice, contrairement à ce que son appellation britannique pourrait laisser penser. C’est l’interrogé qui, sachant dès le début, l’enjeu de l’interrogation et l’objectif poursuivi, décidera de l’attitude qu’il adoptera, et de faire le pari que ses mensonges éventuels auront la capacité de passer au travers du tamis de la méthode.

Aussi, si vous envisagez de rendre vos prochains entretiens d’embauche, et particulièrement ceux de vos futurs cadres et managers plus utiles qu’inutiles, inspirez vous d’Elon Musk et penchez-vous, même brièvement sur les travaux de Porter, et taillez dans le vif d’éventuelles élucubrations mensongères, fussent-elles réduites à l’exagération. Si cette méthode fonctionne pour les enquêteurs de police, et se trouve aussi être celle d’un des entrepreneurs les plus influents de notre époque, cela ne devrait pas être inutile à vos futurs entretiens d’embauche.